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Le souvenir du corps

March 2019
汀まで 忘れな草の なだれ咲き
Migiwa made      
wasurenagusa no
nadaresaki
Jusqu’à fleur d’eau
les fleurs bleues du souvenir
en cascade

Akiko Noguchi

Le corps se souvient et demande de ne pas l’oublier, comme les myosotis que les Japonais traduisent par wasurenagusa : « Ne m’oublie pas ».

Le corps se souvient du plaisir et du déplaisir, des joies et des peines qui l’ont marqué. Comme un chat échaudé, il évite ce qui lui est néfaste, et choisit ce qui lui est propice. Mais il garde trace des chutes et des chocs qui l’ont secoué et meurtri. Bien sûr, on se relève, on n’est pas mort, on continue sa route. Cependant, la fragilité engendrée travaille à bas bruit. Un mois, un an plus tard… un symptôme se déclenche : il suffit d’une grosse fatigue, d’un souci, d’un stress inhabituel pour que sciatique, lumbago, jambes sans repos, sinusite, acouphènes, etc. se déclarent.

Ces maux bénins, qui souvent passent spontanément et sans encombre, deviennent parfois chroniques, quoi que l’on tente pour les faire disparaître. Fonctionnels, ils ne s’attaquent pas aux capacités organiques. Mais ils peuvent se révéler invalidants au quotidien.

Face à un symptôme bénin mais chronique, le « toucher de la sensation interne » perçoit en général un engourdissement plus ou moins étendu et profond à l’emplacement de la douleur, et plus loin dans le corps.

Avant cela, une « immobilité » des flux de température, consistances et mouvements a pu se révéler. Les causes peuvent être variées : certains chocs à la tête ou à la colonne ont été trop rapides, trop inattendus ou trop violents pour être anticipés et amortis par le corps. La main les perçoit et reste immobile le temps que spirales, crampes, picotements, fourmillements, grésillements, etc. se manifestent et remettent du mouvement là où l'organisme était figé.

Engourdissement et immobilité internes sont à mon sens les deux causes d’échec concernant les soins thérapeutiques : le corps-esprit-myosotis n’est pas prêt à évoluer. Il demande en premier que l’on se souvienne de lui, de son histoire : ce qui l’a heurté profondément l’a fragilisé. Il se protège de tout geste non parfaitement adapté à ses propres besoins.

Enlever une protection n’est jamais une bonne solution. L’organisme aura beaucoup de mal à surmonter la fragilité ajoutée. Défaire les nœuds de tension peut paraître miraculeux : la douleur s’évapore et tout le monde s’en réjouit. Mais le trouble engendré par le défaut de protection travaille à bas bruit à son tour, déplaçant ou renforçant l’affection de départ.

Respecter une protection, c'est l’accompagner. Il s'agit d'écouter le corps dans ses besoins et y répondre en allant dans son sens. À la main sensible apparaissent les chutes et les chocs sans toujours pouvoir dire s’ils sont d’origine psychique ou corporelle. Mais le seul fait d’être reconnus et accompagnés dans leurs besoins les dissout pour de bon.

L’organisme retrouve alors une force, un renouveau qu’il avait mis en sourdine pour parer au plus pressé. Peu à peu, il enlève les protections qui n’ont plus de raison d’être. Le souvenir du corps s’apaise...

Andréine Bel