Sur le sable du rivage
à chaque trace de pas
le printemps s’allonge
Masunaga l’appelle : la « sensibilité primitive », archaïque, intuitive, vague et difficile à localiser. Kishi parle de « résonance » étendue et profonde de la main en contact avec le vivant. Carini la perçoit par le « toucher de l’intérieur ». En yukido, nous parlons de « toucher de la sensation interne ». Qu’y a-t-il de si spécial à ce toucher qui se distingue du « palper médical » comme de l’« exploration tactile », trace invisible que la sensation interne permet de découvrir ?
Vu de l’extérieur, un corps vivant et immobile donne à la main qui l’accompagne des repères assez stables. Elle analyse, classe, compare, étudie l’état du corps et de ses organes. Mais de l’intérieur ? Est-il possible de le visiter ?
Il faut ce basculement de la perception, qui va de l’externe vers l’interne, de l’exploration vers la découverte. La main ne cherche pas, elle trouve. Elle n’essaie pas ce qui pourrait lui souffler quoi faire. Elle ne se lance pas non plus au petit bonheur la chance.
Elle se retrouve sans dessus-dessous. Et c’est l’effarement. Ce mouvement organique en constante activité devient immobilité engourdie, grésillante, contrainte. Ou bien, il se met à chauffer, picoter, se modeler en repoussant ses limites. La main entre dans la durée du vécu, celle qui s’agrandit ou se rétrécit comme sous une loupe spatio-temporelle.
Nous les appelons les impressions sensorielles, elles guident le geste d’accompagnement des sensations internes. Ce geste peut rester immobile de longues minutes : l’organisme n’est pas prêt, il lui faut ce temps pour s’accorder. Puis soudain,venant du profond du corps, le signal est donné. Telle tension se forme pour émerger et révéler les besoins de torsion, étirement, rapprochement, balancement... Telle pression appelle ailleurs,ou tout près, pour que la main comble cet abîme laissé par un choc, une chute, une toxine... pas encore « digérés »par l’organisme.
Il en assimile beaucoup, l’organisme, de ces épreuves. Mais certaines l’ébranlent profondément : elles l’ont pris par surprise, ou au mauvais moment, laissant des traces. Alors la main se met sur la piste, celle que le corps dessine pour lui montrer le chemin.
Elle chemine, la main, suit les ensevelissements et résurgences de ces flux qui parfois s’arrêtent, stagnent, souvent jusqu’à l’atonie. Elle sait alors qu’elle ne doit plus bouger, elle écoute sans anticiper, attend sans s’attendre à rien. La vie ne se renouvelle-t-elle pas sans cesse ?
Références
Bergson, Henri (2013). La Pensée et le Mouvant. Paris : PUF.
Carini, Christian (1995). Les mains du cœur, la fasciapulsologie. Paris : Robert Laffont.
Kishi, Akinobu ; Whieldon, Alice (2015). Seiki, la vie en résonance, l’art secret du shiatsu. Vannes : Sully. (Version anglaise en 2011)
Masunaga, Shizuto (2010). Shiatsu et médecine orientale. Paris : Le Courrier du Livre.