
buronzu no utsumuku shōjo ichō chiru
Statue de bronze
une jeune fille regarde tomber
les feuilles du ginko
La jeune fille regarde tomber les feuilles du ginko biloba, l’arbre de l’Éveil du Bouddha. Cette statue n'a pas les moyens de croire ou ne pas croire àl ’apparence des choses. Mais son regard réfléchit peut-être à la grande question d’Antonin Artaud : celle du Corps sans Organes1.
Car, liez-moi si vous le voulez, mais il n’y a rien de plus inutile qu’un organe
Lorsque vous lui aurez fait un corps sans organes
Alors vous l’aurez délivré de tous ses automatismes
Et rendu à sa véritable liberté
Alors vous lui réapprendrez à danser à l’envers
Comme dans le délire des bals musette
Et cet envers sera son véritable endroit
Le Corps sans organes est un corps d’intensités : elles l’animent mais ne s’arrêtent pas aux organes, qu’elles traversent et dépassent par endroits. Les températures, ses consistances et ses mouvements internes sont à l’œuvre à chaque instant de la vie.
Comment Francis Bacon a-t-il pu peindre le Corps sans organes2 ? Sous son pinceau je trouve ce que mes mains voient de l’intérieur : les effondrements, tuméfactions, torsions, crampes, chaleurs grésillantes ou froids polaires, les longues attentes engourdies ou les précipitations fourmillantes. Et c’est un ravissement. Bacon, comme mes mains, ne dessinent pas la souffrance mais bien les efforts du corps face à la souffrance.
La science intuitive3 d’Artaud opère ce retournement où le corps surgit à chaque instant de son vécu, avant qu’on ne puisse l’interpréter et lui mettre la main dessus. Une main faite d’intensités ne peut qu’entrer en résonance avec un corps d’intensités, et en aucun cas le dominer en croyant le comprendre.
L’arbre de l’illumination ne perd-il pas ses feuilles dorées en automne ?
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1 Artaud, Antonin (1947). Pour en finir avec le jugement de Dieu. Création radiophonique, Radiodiffusion française (RDF).
2 Deleuze, Gilles (2002). Francis Bacon – Logique de la sensation. Paris : Seuil.
3 Je fais ici référence au troisième genre de connaissance tel que développé dans le livre V de l’Éthique de Spinoza.