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Trois paramètres pour une sensation

April 2018
塀ぬちは  見えず沈丁  匂いくる

Dans l’enclos
la daphnée invisible –
son parfum se répand

Akiko Noguchi

La perception tactile des sensations  et de leur infinie variété laisse l’observateur sans voix. Tout semble partir dans tous les sens lorsqu’on essaie de nommer une sensation tactile. Ce  passage du livre que j’avais lu en 1983 « L’ostéopathie exactement » (Issartel  & Issartel 2005 p. 191) résume parfaitement le problème :

« […] ça bat, ça chauffe, ça picote, ça fourmille, ça  s’effondre, ça glisse, ça vient de l’autre ou ça vient de moi, circulations  mêlées, mouvements induits, autosuggestion, repères inexistants, rien n’est  sûr, je suis perdue, submergée et complètement découragée. »

Je développe dans mon livre « Le  Corps accordé » comment j’en suis venue, au fil de trois décennies, à  distinguer les sensations perçues dans la main (ça chauffe, ça picote, ça  fourmille…) de celles sous la main (ça bat, ça chauffe…). Puis à  nommer les impressions sensorielles d’accompagnement (ça s’effondre, ça  glisse…). La pratique demande de savoir situer la perception (ça vient  de l’autre ou de moi ?) et l’interaction que l’on peut avoir avec cette  perception (mouvements induits ? autosuggestion ? non-faire ?). Le  tout avec ce questionnement indispensable au praticien à main nue : quels  sont les repères ?

Par un long travail d’observation, j’en suis venue à concevoir que les sensations corporelles se déclinaient  selon trois paramètres : température, consistance et mouvement. Il m’a fallu  quelques années de plus pour plonger dans la « durée » chère à Bergson, le  premier à mettre le nez des scientifiques comme des philosophes dans cette  réalité infiniment mouvante de la perception sensorielle.

Percevoir cette mouvance avec les  mains demande de ne pas avoir d’intention pour elle. L’espace et le temps  deviennent alors aussi élastiques et mouvants que les sensations perçues.  Mais l’unité se crée : la succession d’états et d’événements fait place à un  « magma » en évolution. La sensation interne devient « une » : chacun de ses  paramètres varie et influence plus ou moins les autres.

Ainsi, contrairement à ce que j’ai  longtemps cru, il n’y a pas par exemple, ici ou là un chaud interne, une  crampe ou un picotement… Mais un chaud crampé et picotant, une crampe chaude  et picotante, ou encore un picotement chaud et crampé, selon que la sensation  dominante est le chaud, la crampe ou le picotement. Le tout naturellement  avec des variations infinies d’intensité à chaque instant.

En quoi ces paramètres sont-ils  importants pour le praticien à main nue, comme d’ailleurs pour le danseur, le  gymnaste etc. ?

Parce que lorsque les paramètres  sortent de leur « normalité », celle que l’on pressent à un instant T, ils  indiquent au praticien un travail spécifique de l’organisme qu'il peut  accompagner. La personne retrouve un équilibre où la température est douce,  la consistance élastique et le mouvement dynamique et paisible…

Andréine Bel

PS : Tout cela, nous  l’expérimenterons lors du stage du 5-6 mai 2018 : https://www.yukido.fr/evenement/stage-de-yukido-mai

Ref : Issartel, Lionnelle ;  Issartel, Marielle (2005). L’ostéopathie exactement. Paris : Robert Laffont  (première publication 1983).