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Reconnaître

May 2020
ひと口の まろみたしかに 新茶かな
hitokuchi no
maromi tashika ni
shincha kana
D’une gorgée -
la tendre saveur
Ah ! le thé nouveau !

Akiko Noguchi

Il faut être connaisseur pour apprécier d’une seule gorgée le thé nouveau, d’un seul regard le geste nouveau, d’un seul contact le toucher nouveau. Et pourtant aucun doute : cette gorgée, ce geste, ce toucher pénètrent en soi comme dans du beurre. Rien n’accroche, le monde se fraie en nous un chemin quand il a la nouveauté du regard d’un nouveau-né.

Le premier toucher n’est pas malhabile : il est simple et direct. Il n’est pas hésitant, il ne cherche rien. Il est aussi incisif que la trace du pinceau des maîtres d’antan, et c’est de l’instant qu’il s’agit.

De près ou de loin, on le reconnaît au silence qu’il émane, comme une fleur son parfum. À la vie qui s’anime à son contact, comme ces oiseaux à la pointe du jour, s’ébrouant dans l’eau d’une fontaine.

Ce toucher a la saveur d’un souvenir lointain un soir de lune voilée.

La main se crispe, se contracte ou se contracture, et ce n’est pas la même chose : le vécu est différent. Mais qu’elle perçoive l’engourdissement, elle plonge en hibernation : le printemps naissant viendra la dégourdir.

Il faut à la main sentir en elle la pression pour appuyer ou presser, la tension pour pousser ou tirer. Alors seulement les gestes répétitifs ont une chance d’agir. L’encombrement amène la main à tapoter ou vibrer, la raideur à ballotter, la stagnation à balancer comme l’enfant sur la balancelle.

Face à l’agitation, le toucher devient muet pour laisser parler fourmillements, grésillements, picotements ou crépitements : ça finit par se calmer. Quand le trop plein de sensations arrête de déborder, il préfère se dégager et la main s’écarte. Le trop vide l'aspire, ou bien la fait tomber dans un creux. La main touche le fond et reste immobile : du profond du corps, une force va la soulever.

Parfois, la bousculade d’il y a quelques jours, mois ou années se réveille et suspend le geste d’accompagnement. C’est l’immobilité atone, le temps nécessaire pour retrouver l’élan.

D’autres fois, la main reste en lisière de « quelque chose » : coussin ou colonne d’air ne lui laissent pas toucher la peau.

En contact direct ou à petite distance, le toucher de la sensation interne œuvre. Alors, c’est le réveil des grands jours, le renouveau du printemps lui-même, sa tendre saveur…

Andréine Bel