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Yukido, la voie du ki joyeux

December 2017
落葉掃き 終へしさ庭の 木影かな

Balayant les dernières feuilles au sol

dans le jardin d’hiver
sous l’ombre douce des arbres

(Akiko Noguchi)

Yukidō est le nom que j’ai donné à ma pratique de soin développée depuis 1995. Ce terme provient du Noguchi seitai, le seitai tel que développé par Haruchika Noguchi au Japon à partir des années 1930. À travers ce mot, je rends hommage à Itsuo Tsuda avec qui j’ai appris en France à partir de 1971 la pratique du Katsugen undō, ou « mouvement régénérateur », et à son maître, Haruchika Noguchi, le fondateur du seitai.

Yu (愉) veut dire « joie ».  Faire le yuki, c’est ce que font les mains lorsqu’elles contactent un corps et accompagnent les capacités d’autorégulation d’une personne, favorisant sa santé tout en la rendant de plus en plus autonome.

Ki (気) est un des mots les plus fréquents de la conversation des japonais, et une clé pour approcher cette culture. En Occident, l’équivalent de ki serait à la fois le spiritus et le conatus des Latins, le pneuma des Grecs, le prāṇa des Indiens et le duende des Espagnols. Dans les ouvrages d’Itsuo Tsuda, ki est traduit par : souffle, attention, force de cohésion, instinct, intuition. Ces définitions évitent de matérialiser le ki en le confondant avec ce qu’il anime. Tsuda nous rappelait que ce n’est pas une grandeur quantifiable, que l’on pourrait additionner ou soustraire. Le ki est donc une notion qualitative, fruit d’une mise en relation, indissociable de l’idée de changement et de transformation.

(道) signifie la « voie ».

Yukidō : la voie du ki joyeux.

On me demande souvent : « Est-ce que le fait d’apposer vos mains pour faire un soin vous fatigue ? »  Cette question est reliée à une pensée qui voit dans le soin par les mains un « donneur » et un « receveur » d’énergie, termes adoptés par les magnétiseurs. La personne qui soigne est sensée donner une bonne énergie, celle qui reçoit se déleste par la même occasion de ses mauvaises énergies, au risque d’en charger le donneur.

Or, pendant l’exercice du yuki, nulle fatigue : en accompagnant, je m’accompagne. Le « pouvoir » des mains n’existe pas. Leur efficacité ne réside pas dans une énergie que je saurais transmettre ou recevoir, mais dans l’adéquation de l’action des mains pour répondre aux besoins sensitifs qu’elles perçoivent.

Noguchi avait pratiqué le magnétisme dès son plus jeune âge à partir des écrits de Mesmer. Mais il était aussi un grand lecteur des textes classiques chinois consacrés à la santé, développant la notion de Ki. On pourrait dire que l’évolution du seitai s’est faite par ce cheminement qui a conduit Noguchi du magnétisme au ki.

Voici ce que disait en 2002 Yuusuke Noguchi, à propos de ce changement fondamental opéré par son père :

À l’origine, le terme 愉気 était écrit 輸気. On le lisait « yuki » et cela signifiait «気を輸る » (ki wo okuru ) : envoyer, donner, transmettre le ki. Plus tard dans sa vie, Noguchi Sensei a remplacé le premier kanji 輸 par 愉 qui veut dire « tanoshii », joyeux, plaisant. Il se prononçait encore « yuki », mais sa signification était contraire au kanji « okuru » qui donnait l’idée d’une transfusion de sang ; autrement dit, si vous aviez suffisamment de ki, tout ce que vous faisiez était d’ajouter ou de transfuser du ki, ou quelque chose de ce genre.

Noguchi Sensei disait qu’il détestait cette image et c’est pourquoi il a modifié le kanji en « tanoshii ». Quand il a fait cela, c’est assez étrange, mais le caractère/la nature du yuki a changé aussi. Avoir modifié la nature du yuki fut un grand accomplissement.

Il y a plusieurs variantes de ki. Il y a le ki du « sakki » (menaçant), le ki de « jaki » (malveillance), et finalement, une personne pourrait vous envoyer « okuru », un ki bizarre capable de vous faire du mal. Aussi, « tanoshii ki », un ki heureux, est-il meilleur, n’est-ce pas ? Noguchi Sensei disait : « Cela exprime le plaisir vague et brumeux de la lumière au travers d’une cloison en papier (shōji). » Chacun d’entre vous va envelopper son partenaire à l’entraînement avec cette sensation agréable, et c’est cela que nous appelons yuki.

Andréine Bel