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Désirs et besoins

May 2021
やり水を  吸い込む早さ  胡瓜苗
yarimizu wo
suikomu hayasa
kyuuri nae
L’arrosage –
ils l’absorbent vite
les jeunes plants de concombre

Akiko Noguchi

Maintenant, il faut parvenir à penser que, parmi les désirs, certains sont naturels, d'autres sont vains. Parmi les désirs naturels, certains sont nécessaires, d'autres simplement naturels. Parmi les désirs nécessaires, les uns le sont pour le bonheur, d'autres pour le calme du corps, d'autres enfin simplement pour le fait de vivre. En effet, une vision claire de ces différents désirs permet à chaque fois de choisir ou de refuser quelque chose, en fonction de ce qu'il contribue ou non à la santé du corps et à la sérénité de l'âme, puisque ce sont ces deux éléments qui constituent la vie heureuse dans sa perfection. Car nous n'agissons qu'en vue d'un seul but : écarter de nous la douleur et l'angoisse. Lorsque nous y sommes parvenus, les orages de l'âme se dispersent, puisque l'être vivant ne s'achemine plus vers quelque chose qui lui manque, et ne peut rien rechercher de plus pour le bien de l'âme et du corps. En effet, nous ne sommes en quête de plaisir que lorsque nous souffrons de son absence. Mais quand nous n'en souffrons pas, nous ne ressentons pas le manque de plaisir.

ÉPICURE, Lettre à Ménécée, § 127-128, Éd. Hatier, coll. « Les classiques Hatier de la philosophie », trad. P. Pénisson,1999, p. 10-11.

 

Ce texte admirable de concision aborde l’organisme face à ses désirs « naturels » dont nous pourrions dire que la caractéristique est de chercher à répondre à ses besoins, naturels eux aussi, allant dans le sens d’une auto-organisation héritée de l’évolution du vivant.

Au moment même où j’ai soif, j’ai le désir de boire : les deux prises de consciences sont simultanées. Nos besoins font naître le désir de les combler. Sans la perception de nos besoins et de nos désirs, il nous serait impossible de leur apporter une réponse et donc de nous maintenir en vie et en forme.

Plus l’être est jeune et bien portant, plus il va « absorber » facilement et vite ce qui lui est propice, corps et esprit se donnant la main.

Face à une difficulté, un accident, une maladie etc. l’organisme exprime excès de chaud ou de froid, tension ou mollesse, immobilité ou agitation. De tels signaux indiquent déjà un effort de réajustement spontané, manifestant des besoins auxquels chacun s’efforce de répondre à sa façon.

Mais certaines fois, ces signaux sont peu ou difficilement perceptibles.

L’exemple typique est celui de l’immobilité atone, qui demande à être écoutée et comblée pendant un accompagnement, avant de pouvoir devenir tonique puis d’exprimer un besoin de mouvement.

L’immobilité atone –sans tonicité perceptible– est déroutante et « silencieuse ». Elle n’indique rien et ne demande rien. Elle tolère juste une présence des mains qui se « taisent » à leur tour. Ce n’est qu’après de longues minutes et de manière très discrète que peuvent se manifester quelques excès de chaud ou de froid, tensions, picotements etc. Ils se produisent et restent sur place. Ce n'est qu'avec d’infinies lenteurs et précautions que l’immobilité atone peut devenir tonique.

Une fois comblée à son tour, l’immobilité tonique permet au besoin de mouvement interne de se manifester dans les meilleures conditions. Délesté des intentions que l’on a pour lui et respecté dans sa volonté  propre et son désir, l’organisme se sent libre d’activer au moment propice ses températures, consistances et mouvements internes.

Avec la mise en mouvement, tout redevient  possible, et tel un jeune concombre, l’organisme boit à grands traits les bienfaits de la terre, de l’eau, du vent et du soleil...

 

Glossaire

 

Auto-organisation : « Propriété naturelle observée dans certains corps composés, présentant dans certaines conditions, des propriétés d’émergence particulières. » (Atlan, 2011, p. 25)
« Processus par lequel des systèmes (physiques, biologiques ou sociaux) parviennent à un état stable de manière spontanée, immanente, sans intervention de facteurs extérieurs, sans finalité. » Dictionnaire de philo, 2004.

Homéostasie : (homéo : semblable ; stasie : situation) « Tendance de l’organisme à maintenir ou ramener les différentes constantes physiologiques (température, débit sanguin, tension artérielle, etc.) à des degrés qui ne s’écartent pas de la normale. » (TLFi)

Immobilité : sensation interne d’accompagnement indiquant un besoin d’immobilité.

Immobilité atone : elle se distingue par le fait qu’elle ne s’accompagne d’aucune autre sensation interne.

Immobilité tonique : elle s’accompagne de sensations internes qui se manifestent en restant sur place sans exprimer de besoin de mouvement.

Réajustement spontané : notion utilisée  en yukidō pour décrire comment l’organisme, grâce à son homéostasie et ses capacités d’auto-organisation, tend autant qu’il peut vers son équilibre structurel et fonctionnel.

Volonté : en référence à la philosophie de Schopenhauer.

« La volonté en tant que chose en soi est un désir de vie aveugle et universel. Il ne connaît pas, n’est pas conscient, ignore l’espace et le temps, la cause, le but, les limites. La volonté, dite aussi “vouloir-vivre” (cf. Le monde, par. 54, 324), ne découle pas du monde, c'est le monde qui découle d’elle. Elle est « l’initial et l’inconditionné », « la prémisse de toutes les prémisses. » (Le monde, chap. XXVIII, 410.) Appelée aussi “volonté inconsciente”.

Du latin ‘voluntas’ « faculté de vouloir ; volonté, vœu, désir ; disposition à l'égard de quelqu'un.» (TLFi)