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Le ressenti

June 2019
だみ声の 鴉が告げる 梅雨の入り
Damigoe no
karasu ga tsugeru
tsuyu no iri
Cette voix éraillée –
le corbeau
annonce le début de la saison des pluies

Akiko Noguchi

Le début de la saison des pluies est synonyme de fertilité et promesse de fraîcheur. Mais le chemin peut se révéler sinueux.


Évaluant le senti, le ressenti dit beaucoup. Si telle sensation nous est déplaisante comme la voix du corbeau, ou agréable comme le chant de la première pluie, c’est en partie parce que nous avons appris à détester l’une et adorer l’autre. Le contexte, les souvenirs et nos croyances forment un substrat à notre vécu, lui donnant ses teintes, avec les harmonies, assonances ou dissonances que cela suppose.


Notre ressenti nous dit ce qu’il en est pour nous : « ça va » ou « ça ne va pas ». De l’écoute ou non de cette évaluation va dépendre la suite de ces deux histoires.


Celle d’Andrée, qui a buté sur un rocher, le nez en premier. L’effet de surprise passé, un « scanner sensoriel » automatique,immédiat et précis de la situation a été catégorique : des contusions, quelques égratignures, rien de cassé. Andrée était secouée, au sens propre. Il lui a fallu rester tranquille et laisser les choses reprendre leur place. Un jour et demi ont été nécessaires pour que sa vie quotidienne puisse reprendre son cours normal. La vivacité de ses gestes a mis tout ce temps à revenir, mais nul besoin d’accompagnement de ma part.


Pour Carla, après un coup du lapin, la radio a signalé un léger tassement des disques de trois cervicales. La séance en kinésithérapie du lendemain a effacé toute douleur. Carla a repris le travail, et pendant trois jours, tout a été parfait. Mais au matin suivant, elle s’est retrouvée terrassée de fatigue, avec des nausées et la tête douloureuse. Muscles amorphes et cou en grande fragilité. Les absences récurrentes au travail n’y ont rien changé. Depuis trois mois, Carla a gardé une douleur au cou et aux épaules. Pour résumer, elle me dit : « Ça ne va pas ».


Le toucher de la sensation interne a immédiatement perçu la bousculade encore présente. Au niveau du crâne, les flux de température, consistance et mouvement internes sont immobiles, comme suspendus, pendant vingt minutes. Puis froid piquant, chaud intense, crampes engourdies et picotantes ont alterné au gré de trois séances rapprochées – une tous les trois jours. Les flux ont indiqué directement aux mains ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. Le chaud interne au niveau du haut du corps s’est rétabli. Les hanches, les épaules et le cou se sont détendus et le cours normal de la vie a pu reprendre.


Ma lecture du phénomène : deux ou trois jours de repos complet juste après le coup du lapin auraient probablement évité cette fragilisation qui pouvait durer encore des années. En crispant la nuque et les épaules sous l’impact du choc, en raidissant les hanches, le corps « sait ce qu’il fait ». Il faut lui donner du temps et un confort à sa mesure. Il s’agit pour lui de protéger toute la zone affectée et permettre au cerveau de « digérer » à son rythme l’impact de la secousse qu’il a subie.


« On ne fait pas pousser le riz en tirant dessus », aurait dit Akiko-san. Même la réponse douloureuse du corps peut être promesse de fraîcheur et de bien-être…

Andréine Bel