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Le manque

October 2019
のこされし ものの団居の 露けしや
Nokosareshi
mono no madoi no
tsuyukeshi ya
Ceux qui restent –
la famille en désarroi
rosée du matin

Akiko Noguchi

Les larmes abreuvent la terre et se transforment en perles de rosée, au matin d’une veillée mortuaire qui a duré toute la nuit.

Ce haïku reprend en partie le poème1 écrit par un disciple du grand poète Masaoka Shiki2après ses funérailles. « Trop jeune pour mourir, tristesse et solitude », furent les trois sentiments partagés par tous ses amis et admirateurs. Akiko-san rend-elle ainsi, à travers Shiki, hommage à son père ?

Le deuil adopte de multiples voies pour agir. Celle du corps a sa propre nécessité. Ce qui est irrémédiable et irrévocable crée un vide que l’organisme n’aura de cesse de vouloir combler. Les cris puissants et longs feront se vider ce vide pour retrouver une cohésion. Les poings qui battent la poitrine redonnent du rythme à ce qui finirait par ne plus battre. Les mains enserrées autour de la tête lui rendent sa cohérence. Le corps en détresse se plie, tombe à genoux, embrasse la terre, pour se relever.

Creux et lignes en creux sont perceptibles au niveau du ventre. Soudain, la main se sent tomber dans un vide et atteint un fond. Immobile, elle attend. Parfois une, dix, vingt minutes plus tard, au moment choisi par le corps accompagné, une force vient de ce fond. C’est la poussée qui remonte la main. Le vide se remplit, la main affleure de nouveau. Et c’est un feu d’artifice : crampes, picotements brûlants, fourmillements, grésillements et crépitements prennent peu à peu leur ampleur, leur mesure, leur rythme. Déprime et dépression n’ont plus lieu d’être. La vie s’active, se réorganise, s’allège.

Andréine Bel

1  Le poème commençait ainsi : « nokosareta mono no madoi no »

2  Shiki (1867-1902) est considéré comme un des quatre maîtres classiques du haïku japonais, avec Bashō, Buson et Issa.