Elle a la délicatesse des feuilles de bambous que seule la brise anime en ces temps d’oubli. Qui se souvient de la voix des rebouteux ?
Leur nom même est ignoré. Pourtant ils sont bien là, en chair et en os, les rebouteux de nos campagnes – dont je fais partie. Écouter leur souffle n’est pas une mince affaire : ils disent ne rien avoir à dire. Ils agissent. Ils remettent ce qui a été démis, la chair comme les os, et ce qui les articule.
Ce qui guide nos mains ? La sensation. Comment se manifeste la sensation ? Par des picotements, des chauds ou des froids intenses, des engourdissements… Ce n’est jamais la même chose, cela bouge tout le temps, au fil du vécu et des résonances lointaines ou toutes proches. Comment la sensation peut-elle guider la main ? Le geste s’accomplit par intuition et vérifie sa pertinence. Le ressenti renseigne à chaque instant sur son action. Rien n’est certain à l’avance, les choses s’ajustent doucement.
Aujourd’hui, les fascias se mettent à parler. Comment les rebouteux auraient-ils pu savoir que ce sont ces tissus organiques sans structure apparente que leurs mains sentent en priorité agir et réagir ?
Autrefois délaissés, les fascias aujourd’hui expliquent tout : ils enveloppent tout. Mais sous les fascias, la chair et les os ont aussi des choses à raconter. Encore faut-il savoir les écouter, avec les mains. Pas la sensation externe des organes et des os, mais celle interne des flux qui les anime : chaleur ou froid plus ou moins sec ou humide, tension ou relâchement, mouvement ou stagnation… Tout se transforme continuellement.
Chaque saison prépare la suivante. L’automne des rebouteux serait-il un Nagori1, souvenir sur le point de mourir pour renaître ?
Andréine bel
1 Ryoko Sekiguchi (2018). Nagori. Paris : P.O.L.