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L’immanence

January 2020

Si l’on essaie de la saisir, l’immanence se dissout comme neige sur la peau. Nourrie de la spontanéité de l’enfant, elle ne peut être calculée à l’avance. Son jaillissement a la fraîcheur du premier geste. Au pays des humains, l’acte immanent est le premier tracé du premier des sens, le toucher.

Jean-Marie Delassus1 parlait de proto-regard pour nommer cet acte inoui et renversant du nouveau-né : il regarde sa mère ou son père pour la première fois et il est regardé par eux. Ce contact le fait naître au monde. On en sort sans dessus dessous, rien ne sera plus comme avant.

Le proto-toucher est de la même trempe. Ni calcul ni prévision, et pourtant rien n’atteint sa « perfection ». Son adéquation à la situation, sa pertinence dans le dialogue qui s’instaure entre deux êtres n’ont d’égales que sa gratuité : rien n’est donné ni perdu dans ce don qui ne met pas en dette.

La main qui touche pour la première fois ne connaît pas les bonnes intentions et encore moins les mauvaises. En touchant elle est touchée : il n’y a pas de frontières au sein du senti. Mais la distance est bien là, entre moi et autrui, cet espace fécond où la rencontre peut avoir lieu. François Jullien2parle d’« écart pour découvrir l’autre », écart « qui sera toujours à recommencer ».

Car le proto-toucher, comme le proto-regard, n’est pas un absolu qui nous serait donné à vivre une seule fois dans notre existence. Pour que l’immanence du geste advienne, il faut la laisser venir : ni anticipation, ni enjeux. Nourrie de la spontanéité de l’enfant, elle ne peut être calculée à l’avance. Au pays des humains, l’acte immanent est le premier tracé du premier des sens, le toucher.

Rien n’est jamais gagné pour autant : combien d’essais infructueux avant que la main de l’adulte ne découvre le proto-toucher que le nouveau-né réalise « naturellement », ne sachant faire autrement !

Notre premier tracé sur la page blanche de l’agir est bien ce qui nous permet de rejoindre cette  « première fois », avec la simplicité que la maturité atteint parfois.

1  Delassus, Jean-Marie (1995). Le sens de la maternité, cycle du don et génèse du lien. St Jean de Braye : Imprimerie Nouvelle.

2  Jullien, François (2019). De l’écart à l’inouï. Paris : L’Herne, p. 118-119.