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L’(auto-)apprentissage coopératif en yukido

July 2018
どの客も おなじ団扇で 鰌鍋
Dono kyaku mo
onaji uchiwa de
dojō nabe
Pour chaque convive
le même éventail d'été
autour du loche fumant

Akiko Noguchi

Comment faire correspondre la forme de l’apprentissage avec le fond ? C’est une question qui taraude l’apprenti yukido, pris entre désir de connaissances et besoin de les questionner à chaque instant. Le vivant n’est pas reproductible à l’identique, or nous avons affaire au vivant, aux sensations qu’il exprime et aux besoins qu’il signale. Comme apprendre du vivant sans se raidir ni le rendre artificiel ? En mettant du vivant au sein de l’apprentissage.

On réfléchit mieux à plusieurs que seul. Encore faut-il savoir réfléchir ensemble. Et cela commence par : ne pas réfléchir à la place d’autrui. Ne pas pré-supposer ce que « l’autre » sent ou ressent, observe ou fait, comprend ou élabore. Lui laisser l’espace et le temps, les coudées franches et la liberté de non-faire, se taire.

On réfléchit mieux seul quand on est à plusieurs. Encore faut-il que les autres ne soient pas intrusifs dans notre processus d’apprentissage, donnent un retour sans l’entourer de jugement (positif comme négatif), signalent une inadéquation sans fournir la solution, vouée à être la sienne seulement. Coopération rime avec discrétion.

On réfléchit mieux à deux, l’accompagnant et l’accompagné. On s’entend penser mutuellement : c’est très facile, l’un comme l’autre perçoivent une infinité de signes qui disent l’hésitation, le doute, l’intention, les enjeux… Mais entendre l’accompagnement, plonger dans ses propres sensations en écho agissant avec celles de l’autre est plus difficile. Cela demande du silence pour écouter le tact et le contact de la main qui se sculpte pour sculpter, qui se fait silence ou immobilité, soie ou lin, serre ou volute.

Dans l’infini des possibilités, un seul geste sera « juste » à chaque instant... comment l’atteindre sans l’attendre ? C’est de cette impossibilité même que naît la justesse du vivant, qui tâtonne en grand désordre mais ce n’est qu’une apparence. Il n’y a qu’à regarder une vieille deux-chevaux pour comprendre le fonctionnement du vivant : seule la dextérité et l’à-propos de son conducteur rivalise avec sa propre capacité à rebondir sur les chemins les plus incertains.

Ou bien faire comme les convives d’Akiko Noguchi : manger chaud un jour d’été pour se rafraîchir ensemble.

À la bonne vôtre !

Andréine Bel