Comme les étoiles, les sensations sont là depuis notre naissance, depuis l’apparition de la vie sur terre. Or le toucher est le tout premier sens à naître chez l’être humain. C’est dire combien les sensations sont de vieilles connaissances.
Est-ce pour cela qu’elles sont si difficiles à atteindre ? Entre elles et nous, les nuages se sont accumulés. Le corps, ce lieu d’incarnation des sensations, a d’abord été « le tombeau de l’âme1 », puis un lieu de péché et de tentation. Siège de maladies, la chair souffre, se dégrade et meurt. Peut-on lui faire confiance ?
L’esprit a longtemps été considéré comme supérieur, pur, immense. Il s’est élevé au dessus des nuages.
Après Platon, la philosophie s’est pourtant interrogée : Épicure, Spinoza, Bergson, Merleau-Ponty… ont parcouru le chemin des sensations, perceptions et interprétations. Les arts ont pressenti la créativité foisonnante qu’apporte le contact sensoriel. Mais c’est la science qui aujourd’hui se penche sur cette interface entre soi et le monde, pouvant l’observer « comme aux premières loges ».
L’IRMf permet aux scientifiques de donner chair à ce qui restait du domaine de l’esprit : ils découvrent une immensité dans le plus petit espace, celui du crâne. Plus ils réduisent l'aire d'observation, plus elle semble grandir et s’éclaircir à leurs yeux (Damasio2,Gallese3…). Avec les avancées technologiques, les appareils médicaux d’aujourd’hui peuvent mesurer températures, consistances et mouvements internes des organes, révélant leur fonctionnement dans la durée.
La main exercée ne peut garder trace de ces trois paramètres toujours mouvants. Mais elle sent, se souvient et peut dire. La sensation tactile interne, celle avec laquelle nous vivons si intimement que l’on n’y prête aucune attention, devient discernable. Main et corps sont à même de faire écho ou miroir à ce qu’ils contactent.
L’accompagnant plonge alors dans un univers où il lui faut redoubler de prudence. Croyances, pensée magique et recherche de pouvoir ont écrit les pages sombres du toucher qui soigne. Il est temps d’éclaircir le paysage en redonnant aux sensations internes leur immanence pour que la main retrouve à la fois son innocence et l’infinie créativité du vivant…
Andréine Bel
1 Platon voyait un dualisme entre le monde sensible et le monde intelligible.
2 Damasio, Antonio (2017). L’ordre étrange des choses. La vie, les sentiments et la fabrique de laculture. Paris : OdileJacob.
3 Gallese,Vittorio; Ebisch, Sjoerd (2013). Embodied simulation and touch: the sense of touch in social cognition. Phenomenology & Mind, 4, p.269-291. https://leti.lt/fdd7