Enseigner le yukido, est-ce impossible, illusoire, casse-cou ? Pas de reproduction ni d’imitation envisageables, et encore moins d’anticipation du geste à faire. Alors, que reste-t-il ?
La mémoire sensorielle se développe : on apprend à devenir « une main », comme d’autres deviennent « un nez ». Il faut juste pratiquer au quotidien, s’exercer sans effort mais en conscience et avec constance. On apprend à discerner, nommer et situer les sensations. On les compare, on perçoit leur interaction, leur infinie évolution. C’est ainsi que s’enrichit la palette des sensations internes et la capacité à refléter celles que la main accompagne.
La perception du besoin, nous l’avons tous au quotidien : j’ai besoin de me couvrir, de boire, de m’étirer… C’est immédiat, spontané et conscient. Besoin de m’étirer, de me frotter le dos, d’écarter mes mâchoires : ces gestes se font avant que je n’aie pu y penser. Bien sûr, coutumes, idéaux et interdits peuvent contredire « ma » perception de « mes » besoins, les interpréter et anticiper la réponse à leur donner. Mais nous avons un atout : le ressenti. Si la réponse apportée me fait du bien sur le court, moyen et long terme, je peux en déduire qu’elle a comblé au moins en partie mes besoins. Sinon, mon corps proteste : l’alerte persiste, s’accentue ou se déplace. Quand le terrain se normalise, on se sent « frais et dispos ».
Pour les mains qui accompagnent, c’est le même processus. Elles répondent aux besoins qu’elles perçoivent, de manière immédiate, spontanée et consciente. Appuyer ici, mettre en tension là, ou rester immobile. Bien sûr, les enjeux vont interférer et essayer de prendre le contrôle : vouloir pour l’autre, se montrer capable et savant. Laisser toute latitude à l’involontaire est la seule voie que je connaisse pour qu’il indique lui-même les besoins de l’organisme et le chemin à prendre pour l’aider.
L’effort du corps pour persévérer en son être se vérifie à chaque instant : le cœur continue à battre qu’on le veuille ou non, la peau cicatrise sans qu’on n’y soit pour rien, le fœtus se développe sans que sa mère n’ait quoi que ce soit à penser. La seule difficulté, c’est d’être à l’écoute de cet involontaire, lui laisser la main.
Le reste de l’enseignement du yukido découle de ces bases. Qu’est-ce que la santé, quand et comment « soigner », quelle éthique respecter, quelle relation de soin établir et dans quelles limites… Discerner, évaluer, critiquer sont indispensables. L’involontaire est délicat et de haute précision, la main sera toujours trop grossière pour l’accompagner dans ses besoins, mais heureusement le vivant à une certaine tolérance à la maladresse et un appétit presque inextinguible pour tout ce qui lui convient.
Courage aux débutants que nous sommes, aux apprentis en devenir et aux praticiens qui toujours remettent leurs connaissances sur le métier !
Andréine Bel