Il y a des corps pleins de larmes, la moindre goutte ajoutée et ça déborde, en flots salvateurs.
Parfois, c’est l’obstruction : le flux naturel est empêché, l’intervention est nécessaire. Enlever les freins à la créativité, ou déboucher les artères, et la vie reprend son cours. Mais le plus souvent, l’écoulement est patient, élaboré, et trouve son chemin.
L’accompagnement du flux régulier des sensations internes serait incongru : elles s’écoulent comme de l’eau fraîche, douce et paisible. Quelque chose doit « accrocher » à la main pour que l’accompagnement soit pertinent, demandé par le corps. Un excès ou un déficit de chaud ou de froid, de tension ou de détente, de mouvement ou d’immobilité internes ? La main perçoit l’accumulation, et va dans le sens montré par l’organisme. Elle se fait chaude ou froide, tendue ou détendue, mouvante ou immobile selon la sensation interne qu’elle reflète et son besoin sensible.
Le besoin immédiat pour un organisme oppressé est d’être littéralement pressé. La seule chose qui apaisait Temple Grandin était un appareil qu’elle avait fabriqué elle-même : la « machine à presser », un ingénieux système qui permet à la personne de contrôler le temps et la force de pression autour de ses épaules, buste et hanches1.
Souvent tension et pression se donnent la main, l’une amenant ou permettant l’autre. En pressant, je tends un peu les tissus adjacents. Et l'appui est nécessaire pour exercer une mise en tension.
La main perçoit une pression, et déjà cette pression lui indique le sens, le poids et la durée du geste à donner. Quand il s’agit d’une tension, la main sait qu'il lui faut tirer, pousser, étirer, distendre au bon moment, à la bonne intensité et à la juste distance.
C’est alors que le « miracle » se produit. L'organisme est comblé dans ses besoins sensibles, ils diminuent jusqu’à ne plus avoir à se manifester. Au moins un temps, car la neige retombera, retombera, retombera…
Andréine Bel
1 Grandin, Temple (1994). Ma vie d'autiste. Paris : Odile Jacob.